
Le Conseil Constitutionnel déclare les dispositions polémiques de la loi du 13 juin 2025 visant à sortir la France du piège du narcotrafic non-conformes à la Constitution
Contexte de la décision
Le 12 juin 2025, le Conseil constitutionnel a rendu une décision très attendue sur la loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Saisi par plus de 60 députés, il s’est prononcé sur la conformité de nombreux articles de cette loi qui a suscité une levée de boucliers de toute la profession en raison de son caractère disproportionné et des atteintes aux droits de la défense qu’elle emporte.
Dans le prolongement du heurt contre le pavois, les sages de la rue Montpensier ont assené un coup d’estoc à la loi déférée à leur examen et renouvellent ainsi leur rôle de gardien des libertés en censurant ses dispositions jugées les plus attentatoires.
✅ Les mesures pleinement validées de la loi sur le narcotrafic
La possibilité de prolonger jusqu’à 120h la mesure de garde à vue des « mules »
Elle ne peut être décidée qu’à titre exceptionnel par le juge des libertés et de la détention, après un examen médical établissant la présence de substances stupéfiantes dans le corps de la personne et concluant à l’aptitude de cette dernière au maintien en garde à vue.
En outre, à l’expiration de la quatre-vingt seizième heure de garde à vue, la personne est informée dès la notification de la prolongation de son droit de s’entretenir avec son avocat, qui peut consulter le certificat médical, ainsi que de son droit à être examinée une nouvelle fois par un médecin au cours de cette prolongation.
La création de quartiers pénitentiaires spécialisées
Les personnes susceptibles d’être affectées dans des quartiers de lutte contre la criminalité organisée sont les personnes majeures détenues pour des crimes et délits relevant de la procédure spéciale applicable à la criminalité et à la délinquance organisées, dont il est établi qu’elles entretiennent en détention des liens avec les réseaux de la criminalité et de la délinquance organisées.
Cette affectation est prononcée par le ministre de la justice à titre exceptionnel et doit être motivée.
S’agissant d’une personne condamnée, elle ne pourra intervenir qu’après une procédure contradictoire et avis du juge de l’application des peines.
S’agissant d’une personne prévenue, mise en examen ou accusée, elle n’interviendra qu’après information du magistrat instructeur lequel peut s’y opposer.
Cette procédure est applicable à chaque renouvellement de la mesure au-delà d’un an.
Le régime des visites impose le recours à des parloirs équipés d’un dispositif de séparation et exclut l’accès aux unités de vie familiale et aux parloirs familiaux, mais il existe des aménagements :
- au bénéfice des enfants mineurs de la personne détenue, qui peuvent, sauf risque d’atteinte au bon ordre de l’établissement pénitentiaire par les seuls mineurs de plus de 16 ans, bénéficier de visites dans un parloir non équipé d’un dispositif de séparation ;
- en cas de circonstances familiales exceptionnelles ;
- au bénéfice de l’avocat, dont la visite peut se dérouler soit dans un parloir dépourvu de dispositif de séparation soit, à sa demande ou à celle de son client, dans un parloir équipé d’un dispositif de séparation garantissant la possibilité de transmettre et de présenter des documents.
L’accès au téléphone est garanti à chaque personne détenue pendant au moins deux heures, au moins deux jours par semaine.
⚠️ Les mesures validées de la loi sur le narcotrafic sous réserve de l’interprétation conforme à celle du Conseil Constitutionnel
Les fouilles intégrales systématiques
La personne détenue peut faire l’objet de fouilles intégrales systématiques dans les seuls cas où elle a été en contact physique avec une personne en mission ou en visite dans l’établissement sans être restée sous la surveillance constante d’un agent de l’administration pénitentiaire.
Par conséquent, elles ne peuvent être réalisées lorsque la personne détenue a rencontré un membre de sa famille ou son avocat dans un parloir équipé d’un dispositif de séparation.
En outre, les fouilles intégrales ne peuvent être réalisées que lorsque la surveillance de la visite par un agent de l’administration pénitentiaire a été empêchée par des circonstances particulières tenant à l’intimité de la personne détenue, à la nécessité de préserver la confidentialité de ses échanges ou à des difficultés exceptionnelles d’organisation du service pénitentiaire.
La fermeture administrative des lieux liés au trafic de stupéfiants
En pratique, elle concerne notamment les sandwicheries, épiceries de nuit et les pressings.
Néanmoins, le Conseil Constitutionnel émet une réserve s’agissant de la fermeture des lieux de réunion, de culte et des locaux associatifs qui doit être strictement adaptée, nécessaire et proportionnée.
L’activation à distance d’appareils électroniques fixes et mobiles aux fins d’enregistrement du son et de l’image
Celle-ci sera possible à la seule condition qu’elle soit limitée aux infractions les plus graves, commises en bande organisée et punies d’au moins cinq ans de prison.
Le retrait et le blocage de contenus en ligne qui proposent l’achat de stupéfiants
Cette faculté est restreinte qu’aux seuls contenus manifestement illicites.
⛔️ Les mesures partiellement censurées de la loi sur le narcotrafic
La portée du dossier-coffre restreinte au seul objectif de protection des personnes concourant à l’enquête
Le recours à un « procès-verbal distinct » ou dossier coffre, est consacré.
Inspiré du droit belge, il permet ici de ne pas faire figurer au dossier des informations portant sur la mise en œuvre de techniques spéciales d’enquête (Géolocalisation, écoutes, infiltrations, etc.), restreintes à où et quand a été posé le dispositif et sur la personne qui a concouru à sa pose ou à son retrait pour éviter que celle ou sa famille devienne la cible de représailles.
En revanche, le Conseil Constitutionnel censure les dispositions qui permettaient qu’à titre exceptionnel, une condamnation puisse, dans certains cas, être prononcée sur la base d’éléments de preuve versés au dossier coffre, en raison d’une atteinte excessive aux droits de la défense qui impliquent le droit de débattre contradictoirement des éléments d’un dossier.
Le recours exclusif à la visioconférence pour la comparution des personnes placées en quartier de lutte contre la criminalité organisée
Nettement inspiré par les conséquences de l’évasion de Mohamed Arma lors de son transfert, le Conseil Constitutionnel juge que ce recours de principe porte une atteinte excessive aux droits de la défense.
❌ Les mesures censurées de la loi sur le narcotrafic
L’accès aux bases de données fiscales jugé comme portant une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée faute de garanties suffisantes
L’article 5 de la loi créait un nouvel article L. 135 ZR du livre des procédures fiscales qui aurait permis à certains agents des services spécialisés de renseignement, dit du « premier cercle », d’accéder directement et sans demande préalable auprès des services fiscaux, à des informations financières, fiscales et patrimoniales contenues dans des bases de données et des fichiers de l’administration fiscale, par dérogation au principe du secret fiscal.
L’extension du recours à des traitements automatisés de nature algorithmique en matière de criminalité organisée et de terrorisme
Dans un contexte de terrorisme, la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement avait pu être votée pour permettre un examen de données « de masse » prélevées sur l’ensemble de la population, pour les besoins de la lutte contre le terrorisme, mais restreint aux seules données de connexion.
La loi n° 2021-998 du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement avait étendu cette faculté aux urls sans que le Conseil Constitutionnel n’ait pu se prononcer sur la conformité de cette faculté à la Constitution.
D’une pierre, deux coups, le Conseil Constitutionnel censure à la fois l’extension de cette faculté à la criminalité organisée prévue par la loi sur le narcotrafic, mais encore le socle de cette extension qui concernait le terrorisme en ce que cette faculté permettait et aurait permis, plus encore, une surveillance de masse.
La possibilité de prolonger jusqu’à 96h la mesure de garde à vue pour les infractions de corruption et de trafic d’influence jugées non conforme aux exigences découlant des principes de liberté individuelle et de rigueur nécessaire
Une pareille durée ne peut s’étendre à des délits qui ne sont pas susceptibles de porter atteinte en eux-mêmes à la sécurité, à la dignité ou à la vie des personnes.
L’aggravation automatique des peines pour port d’arme, même sans qu’il en ait été fait usage, en cas d’infraction, jugée disproportionnée
La loi prévoyait une circonstance aggravante constituée par le port d’une arme, apparente ou cachée, lors de la commission de certaines infractions. Cette circonstance portait la peine d’emprisonnement encourue à la réclusion criminelle à perpétuité lorsque l’infraction était punie de trente ans de prison, à quinze ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction était punie de trente ou vingt ans de prison, et à sept ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction était punie de dix ou cinq ans d’emprisonnement.
Ce que ça signifie pour les justiciables
Cette décision rappelle que les libertés individuelles ne peuvent être sacrifiées à la lutte contre le trafic de stupéfiants sans encadrement rigoureux. Le droit à un procès équitable, le contradictoire, et le contrôle du juge judiciaire sont des garde-fous essentiels. Les avocats devront être vigilants dans la mise en œuvre pratique de cette loi.
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