Peut-on demander la récusation d’un juge d’instruction ?

Comment récuser un juge d'instruction ?

« Le juge d’instruction n’est qu’à charge, Maître, peut-on en changer ?« 

À titre liminaire, il convient de rappeler que le juge d’instruction est un « super enquêteur » qui procède, aux termes de l’article 81 alinéa 1er du code de procédure pénale :

« conformément à la loi, à tous les actes d’information qu’il juge utiles à la manifestation de la vérité. Il instruit à charge et à décharge. »

Cela étant rappelé, il est en effet possible de demander à changer de juge d’instruction auquel cas sera-t-il déchargé de l’ affaire au profit d’un autre. On parle alors de « récusation » que prévoit l’article 668 du code de procédure pénale en ces termes :

« Tout juge ou conseiller peut être récusé pour les causes ci-après :

1° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin sont parents ou alliés de l’une des parties ou de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin jusqu’au degré de cousin issu de germain inclusivement.

La récusation peut être exercée contre le juge, même au cas de divorce ou de décès de son conjoint, de son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou de son concubin, s’il a été allié d’une des parties jusqu’au deuxième degré inclusivement ;

2° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, si les personnes dont il est tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire, si les sociétés ou associations à l’administration ou à la surveillance desquelles il participe ont intérêt dans la contestation ;

3° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, est parent ou allié, jusqu’au degré indiqué ci-dessus, du tuteur, subrogé tuteur, curateur ou conseil judiciaire d’une des parties ou d’un administrateur, directeur ou gérant d’une société, partie en cause ;

4° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, se trouve dans une situation de dépendance vis-à-vis d’une des parties ;

5° Si le juge a connu du procès comme magistrat, arbitre ou conseil, ou s’il a déposé comme témoin sur les faits du procès ;

6° S’il y a eu procès entre le juge, son conjoint, son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin leurs parents ou alliés en ligne directe, et l’une des parties, son conjoint, ou ses parents ou alliés dans la même ligne ;

7° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, ont un procès devant un tribunal où l’une des parties est juge ;

8° Si le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin, leurs parents ou alliés en ligne directe ont un différend sur pareille question que celle débattue entre les parties ;

9° S’il y a eu entre le juge ou son conjoint ou son partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou son concubin et une des parties toutes manifestations assez graves pour faire suspecter son impartialité.« 

Il s’en déduit quatre causes de récusation tenant à :

  • La parenté ou l’alliance entre le juge et une partie;
  • La communauté ou la contradiction d’intérêts entre le juge et une partie;
  • La connaissance antérieure de l’affaire par le juge;
  • La manifestation de partialité du juge.

Néanmoins, ces cas ne sont pas limitatifs ainsi que l’a jugé la Cour de cassation au visa de l’article 6.1 de la Convention européenne des droits de l’Homme (Cass. Civ. 1ère, 28 avril 1998, n°96-11.637).

Tel n’est pas le cas des parties recevables en leur requête tendant à la récusation d’un juge d’instruction :

« La personne mise en examen, le prévenu, l’accusé et toute partie à l’instance qui veut récuser un juge d’instruction, un juge de police, un, plusieurs ou l’ensemble des juges du tribunal correctionnel, des conseillers de la cour d’appel ou de la cour d’assises doit, à peine de nullité, présenter requête au premier président de la cour d’appel.

Les magistrats du ministère public ne peuvent être récusés.

La requête doit désigner nommément le ou les magistrats récusés et contenir l’exposé des moyens invoqués avec toutes les justifications utiles à l’appui de la demande.

La partie qui aura procédé volontairement devant une cour, un tribunal ou un juge d’instruction ne sera reçue à demander la récusation qu’à raison des circonstances survenues depuis, lorsqu’elles seront de nature à constituer une cause de récusation.« 

Point avocat : On notera que le témoin assisté n’est pas mentionné au titre des titulaires du droit de récusation d’un juge d’instruction.

Les juges du fond en ont déduit que celui-ci est irrecevable à demander la récusation d’un juge d’instruction (Cour d’appel de Bordeaux, 13 septembre 2007, 07/04563).

Néanmoins, la décision rapportée ne saurait faire autorité, ce d’autant plus que de mon point de vue, elle est contestable car la qualité au titre de laquelle une partie est mise en cause d’une instruction est susceptible de changer.

C’est plus particulièrement le cas du témoin assisté qui peut, à tout moment de la procédure, demander sa mise en examen.

Cette possibilité parait contre-intuitive et même risquée, mais ne doit pas être sous-estimée car elle peut parfois aboutir à de très bons résultats dès lors que le mis en examen a un arsenal plus étoffé que celui du témoin assisté pour combattre l’instruction.

Naturellement, demander à changer de juge d’instruction est un acte grave traduisant des soupçons de partialité à l’endroit d’un magistrat qui a juré « de remplir [ses] fonctions avec indépendance, impartialité et humanité, de [se] comporter en tout comme un magistrat digne, intègre et loyal et de respecter le secret professionnel et celui des délibérations.« 

Aux termes des articles 669 et suivants du même code, la demande de récusation est introduite par requête prescrite à peine de nullité à l’attention du premier président de la cour d’appel.

Elle doit désigner le juge dont la récusation est demandée et contenir l’exposé des arguments et les pièces justificative à l’appui de cette demande de récusation.

La requête en récusation ne dessaisit pas de plein droit le juge soupçonné d’impartialité, mais le premier président de la cour d’appel, après avis du procureur général, peut ordonner qu’il sera sursis soit à la continuation de l’information ou des débats, soit au prononcé du jugement.

L’ordonnance de récusation n’est susceptible d’aucune voie de recours, c’est-à-dire qu’elle ne peut pas être contestée.

Point théorie : Elle a donc le caractère d’une mesure d’administration judiciaire qui sont, dans la théorie du droit, des mesures de gestion administrative qu’a la faculté de prendre un chef de juridiction, ce que confirmé la Cour de cassation en jugeant que « la décision par laquelle le président d’une juridiction visée par une demande de renvoi pour cause de suspicion légitime qui, après avoir estimé cette demande fondée, distribue l’affaire à une autre formation de la juridiction est une mesure d’administration judiciaire qui n’est pas susceptible de recours, fût-ce pour excès de pouvoir » (Cass. Civ. 2ème, 1er février 2018, n°17-14.730)

LES RISQUES D’UNE DEMANDE DE RÉCUSATION D’UN JUGE D’INSTRUCTION

L’information judiciaire peut être comparée à une partie d’échecs dans laquelle se noue un dialogue judiciaire plus ou moins fertile et la requête en récusation, à la rupture définitive de ce dialogue.

Par conséquent, n’hésitez pas à vous faire assister par un avocat qui, lui seul, pourra mesurer l’opportunité en fait et en droit de changer de juge d’instruction et déterminer si la récusation projetée apportera une plus-value à la poursuite ou l’issue de l’information judiciaire.

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La demande de récusation d’un juge d’instruction est chose exceptionnelles dans l’exercice des droits de la défense car en marge du risque qu’elle instille dans la relation avec le magistrat instructeur, elle comporte un risque financier pour l’auteur de la requête.

En effet, l’article 673 du code de procédure pénale organise un filtre en sanctionnant toutes les requêtes en récusation qui seraient jugées infondées par une amende civile de 75 à 750 €.