L’incomprise déconnexion entre la plainte d’une victime et les poursuites du parquet

« Maître, si je retire ma plainte, est-ce que mon conjoint sera condamné ? »

C’est hélas une interrogation récurrente qui s’empare et me parvient de victimes de violences conjugales tristement devenues l’une des grandes catégories de profils franchissant l’enceinte judiciaire.

Ces femmes et, quoique plus rarement, ces hommes sont parfois pris d’une affection résiduelle à l’égard de qui partageait encore récemment leur vie ou sous emprise et à l’étreinte d’un sentiment de culpabilité sciemment ou inconsciemment renforcée par leur conjoint(e) ou ex-conjoint(e).

Par d’autres, les victimes de violences conjugales sont confrontées à l’impossibilité de subvenir à leurs propres besoins et ceux de leur(s) enfant(s) autrement qu’en se résignant à une promiscuité avec leur bourreau contrecarrant alors tout projet de départ qui signifierait dans le meilleur des cas la fin des sévices.

Encore que depuis l’entrée en vigueur de la loi du 28 février 2023 créant une aide universelle d’urgence pour les victimes de violences conjugales, ces dernières peuvent solliciter un prêt sans intérêt ou un don en marge d’une ordonnance du juge aux affaires familiales, lors du dépôt de plainte ou d’un signalement adressé au procureur de la République.

Ce prêt ou ce don, qui variera selon leur situation financière et sociale et la présence d’enfants, est destiné à leur permettre de quitter le domicile sous le voile duquel sont perpétrées les violences.

À noter que l’officier ou l’agent de police judiciaire qui reçoit la plainte ou, sous son contrôle, l’assistant d’enquête services de police ont l’obligation d’informer la victime de cette faculté sans que ce défaut d’information ne soit frappé d’une quelconque sanction alors même que certaines victimes font état du peu de considération accordé par les services de police à leur situation.

Au reste, il convient d’observer si le délai d’octroi de l’aide sera respecté et le phénomène endigué.

Ainsi exposées, ces circonstances peuvent sembler justifier un retrait de plainte, mais le légitime-t-elles pour autant ?

La réponse est évidemment non : Aucune de ces considérations ne saurait absorber et rendre légitime la moindre violence physique ou morale, de même qu’aucun baume au coeur malmené ni couches de fond de teint surmontant le relief des ecchymoses ne dupera l’entourage et n’estompera leur réalité.

Cette réalité confiée à la clandestinité donne au contraire de l’apparence à celle d’un choix contraint de certaines victimes de ne jamais déposer plainte tandis que d’autres y parviennent, tantôt au terme d’un long processus de réflexion, tantôt au détour d’un incident provoquant vive détresse et parfois véritable prise de conscience.

Malheureusement, entre le moment du dépôt de plainte, son instruction effective, les poursuites et le jugement, il n’est pas rare d’observer des regrets saisir une plaignante ou un plaignant qui se retrouve, malgré elle ou lui, happé dans l’appareil judiciaire et, au bout, confronté plus ou moins directement à l’auteur des faits délictuels voire criminels.

En effet, à la différence du procès civil qui est communément désigné comme « la chose laissée aux parties », la procédure pénale épouse un modèle hybride à prépondérance inquisitoire, soit et pour l’essentiel, une procédure écrite et secrète à l’égard du public comme de la personne mise en cause, conduite aux fins de sanctionner l’atteinte à l’intérêt général dans le sillage de l’atteinte portée aux droits d’un individu.

Il en résulte une summa divisio tracée dès l’article 1er par le code de procédure pénale en ce que :

« L’action publique pour l’application des peines est mise en mouvement et exercée par les magistrats ou par les fonctionnaires auxquels elle est confiée par la loi.

Cette action peut aussi être mise en mouvement par la partie lésée, dans les conditions déterminées par le présent code », notamment par l’article 551 qui laisse la faculté à toute partie civile et à ses frais de faire délivrer une citation à comparaître devant le tribunal.

S’agissant de l’action civile, l’article 2 du même code l’organise comme suit :

« L’action civile en réparation du dommage causé par un crime, un délit ou une contravention appartient à tous ceux qui ont personnellement souffert du dommage directement causé par l’infraction.

La renonciation à l’action civile ne peut arrêter ni suspendre l’exercice de l’action publique, sous réserve des cas visés à l’alinéa 3 de l’article 6 », soit du recours à la transaction pénale, de l’exécution d’une composition pénale ou, pour ce qui nous intéresse, du retrait de plainte.

Il en résulte qu’en principe, un retrait de plainte n’empêchera pas le procureur de la République de conduire une enquête qui aboutira, si lui le décide, à des poursuites et éventuellement à une condamnation que le juge prononcera suivant son intime conviction sur la culpabilité et la responsabilité du prévenu ou de l’accusé d’avoir commis les faits poursuivis.

Cette mainmise du procureur de la République sur l’action publique représente le principe de l’opportunité des poursuites auquel obéit le droit français, mais qui se trouve atténué dans les cas où la plainte est conçue comme base légale à leur déclenchement et à leur maintien.

Par exemple, le retrait d’une plainte visant des faits d’injure, de diffamation ou de certaines atteintes à la vie privée mettra automatiquement fin aux poursuites.

Au rang des plaintes érigées comme condition préalable à la mise en mouvement de l’action publique, l’article 113-8 du code de procédure pénale dispose par ailleurs que la poursuite d’infractions commises à l’étranger « ne peut être exercée qu’à la requête du ministère public. Elle doit être précédée d’une plainte de la victime ou de ses ayants droit ou d’une dénonciation officielle par l’autorité du pays où le fait a été commis. »

Enfin, la recevabilité de certaines plaintes convoquant la mise en oeuvre de poursuites est subordonnée à l’avis d’une autorité administrative.

Ainsi est-ce le cas en matière d’infractions fiscales, ce que confirme la lecture de l’article L228 du livre des procédures fiscales dès lors que :

« II. – Sous peine d’irrecevabilité, les plaintes portant sur des faits autres que ceux mentionnés aux premier à cinquième alinéas du I et tendant à l’application de sanctions pénales en matière d’impôts directs, de taxe sur la valeur ajoutée et autres taxes sur le chiffre d’affaires, de droits d’enregistrement, de taxe de publicité foncière et de droits de timbre sont déposées par l’administration à son initiative, sur avis conforme de la commission des infractions fiscales », étant excepté le cas où « l’avis de la commission n’est pas requis lorsqu’il existe des présomptions caractérisées qu’une infraction fiscale a été commise pour laquelle existe un risque de dépérissement des preuves et qui résulte :

1° Soit de l’utilisation, aux fins de se soustraire à l’impôt, de comptes ouverts ou de contrats souscrits auprès d’organismes établis à l’étranger ;

2° Soit de l’interposition de personnes physiques ou morales ou de tout organisme, fiducie ou institution comparable établis à l’étranger ;

3° Soit de l’usage d’une fausse identité ou de faux documents au sens de l’article 441-1 du code pénal, ou de toute autre falsification ;

4° Soit d’une domiciliation fiscale fictive ou artificielle à l’étranger ;

5° Soit de toute autre manœuvre destinée à égarer l’administration. »

De même, toute poursuite d’un auteur de faits relevant d’infraction boursières est conditionnée à la notification préalable par l’AFM des griefs portant sur ces même faits conformément à l’article L465-3-6 du code de procédure pénale :

« I. – Le procureur de la République financier ne peut mettre en mouvement l’action publique pour l’application des peines prévues à la présente section lorsque l’Autorité des marchés financiers a procédé à la notification des griefs pour les mêmes faits et à l’égard de la même personne en application de l’article L. 621-15. »

En effet, l’atteinte par une infraction à un intérêt privé et celle portée à l’intérêt général se confondent souvent, mais sont déconnectées dans les droits et actions qu’elles réservent à leurs titulaires.

Une autre expression de cette déconnexion peut être relevée dans l’exercice du droit d’appel en matière pénale dès lors qu’aux termes des articles 380-2 et 497 du code organisant sa procédure, le droit d’appel d’arrêts de cours d’assises et criminelles d’une part et de jugement correctionnels d’autre part appartient :

« A la partie civile, quant à ses intérêts civils seulement […] »

Au bilan, la partie civile ne peut critiquer que les chefs de l’arrêt ou du jugement se prononçant sur le principe et le montant du ou des préjudices dont il est recherché réparation tandis que le procureur de la République peut à loisir relever appel des chefs de l’arrêt ou du jugement relatifs à la culpabilité, à la responsabilité et la peine du prévenu.

Il n’en reste pas moins fortement recommandé de se constituer partie civile à l’audience pour au moins deux raisons :

  • D’abord parce que la parole de qui s’estime victime d’une infraction est essentielle à la manifestation de la vérité;
  • Ensuite parce qu’elle donnera toujours plus de crédit à la matérialité des faits poursuivis.

M’assurer de cette constitution représente la première étape d’un travail préalable mené en deux, destiné à conforter le choix de victimes encore hésitantes.

Il faut d’abord que les victimes sachent qu’elles ne sont pas seules et ne le seront pas davantage au moment de déposer à la barre.

La déposition à la barre par les parties civiles est un moment où la parole se délie dans la délicatesse et la confusion des émotions, accentuées par la pression que provoque la publicité des débats.

C’est pourquoi je m’attache à rester debout à leurs côtés afin qu’elles puissent déposer sereinement, en m’interposant au besoin devant le regard de la personne mise en cause dans le box pour interférer avec toute tentative d’intimidation.

Conscient de ces hésitations et d’autant de craintes, le législateur a rédigé l’article 418 du code de procédure pénale comme permettant à :

« Toute personne qui, conformément à l’article 2, prétend avoir été lésée par un délit » […] de « se constituer partie civile à l’audience même. »

Son alinéa 3 précise l’office de l’avocat de la partie civile en la restreignant à la faculté, outre la constitution de cette dernière, de « demander des dommages-intérêts correspondant au préjudice qui lui a été causé. »

Par conséquent, j’estime inapproprié de formuler à l’audience, ès-qualités, des demandes relatives à la culpabilité, à la responsabilité et/ou à la peine du prévenu ou de l’accusé voire discourtois de le faire sans s’en être préalablement entretenu avec le procureur de la République car elles sont réservées à la servitude de sa plume et laissées à sa libre parole.

Plus encore et dès lors que la plaidoirie de l’avocat de la partie civile précède immédiatement le réquisitoire du procureur de la République, quiconque commettrait pareille effraction dans son royaume risquerait de lui couper l’herbe sous le pied… mais gardera aujourd’hui la tête sur les épaules.

Malgré la portée de l’intervention de l’avocat de la partie civile, je m’enquiers toujours des attentes de la victime sur le volet pénal, ce qui constitue la deuxième étape de mon travail préalable.

Quelle que soit sa religion, l’avocat doit s’employer à assurer la défense des intérêts de la personne qu’il représente en combattant l’accusation ou, ici, en la confortant, si bien que dans l’hypothèse logique où une partie civile rechercherait la condamnation de l’auteur des faits, je m’en remets aux réquisitions du ministère public pour le surplus de ce que j’aurais démontré.

En revanche, dans le schéma contre-intuitif où la partie civile souhaiterait « limiter la casse » à laquelle pourrait conduire sa plainte, je m’emploie à arrêter une proposition de peine avec celle-ci et à la soumettre sous la courtoisie que commande le déroulement procédural car il est effectivement des cas où l’on peut oser être plus royaliste que le Roi sans encourir le sort de Malesherbes et faire sien le grief de Raymond De Sèze.

J’observe en effet que si les juges prennent régulièrement note des demandes de dommages et intérêts formulées par l’avocat de la partie civile, ils n’en font pas toujours autant de celles intéressant le sort pénal de la personne présente dans le box, mais cela ne signifie pas qu’elles n’infléchiront pas leur for intérieur, ce d’autant moins lorsque les réquisitions du parquet sont mal calibrées.

Aussi, il semblerait que les juges devant qui j’ai pu porter des demandes relatives à la culpabilité, à la responsabilité, mais surtout, à la peine du prévenu s’y soient montrés sensibles et, partant, ont été plus souvent favorables à mes propositions qu’à celles du parquet.

C’est du soulagement pour les victimes, de petites victoires pour leur serviteur, mais qui n’auraient dû ni ne devraient lui être attribuées à l’avenir car, fondamentalement, l’avocat ne requiert pas.

Toujours est-il qu’aux cas d’indulgence poursuivie par la partie civile, le rôle de son avocat devient sibyllin et s’apparente à un exercice de funambule car il doit veiller à ce que le statut de victime, encore en germe au stade considéré, soit consolidé par l’effet déclaratif du jugement qui emportera nécessairement la rançon d’un chef de culpabilité du prévenu ou de l’accusé.

Néanmoins, qui est coupable n’est pas toujours responsable ni condamnable et c’est précisément sur la question de la peine que l’avocat de la partie civile peut en prolonger le voeu de mansuétude en sollicitant au lieu et place d’une peine d’emprisonnement sèche, une peine responsabilisante telle qu’un sursis probatoire exprimé par des obligations de soins et de suivi d’un stage de sensibilisation se rapportant aux faits délictueux ou une peine clémente suivant quoi un sursis simple voire une dispense de peine au visa et sous conditions de l’article 132-59 du code pénal peut être utilement formulée.

Je considère, quoiqu’il en soit, que l’article 130-1 du code pénal constitue la boussole qui doit guider les juges dans la détermination de la juste peine et dont le cadran est ainsi conçu :

« Afin d’assurer la protection de la société, de prévenir la commission de nouvelles infractions et de restaurer l’équilibre social, dans le respect des intérêts de la victime, la peine a pour fonctions :

1° De sanctionner l’auteur de l’infraction ;

2° De favoriser son amendement, son insertion ou sa réinsertion. »

Aux avocats et au parquet donc d’aiguiller le juge, à lui de fixer le cap !

Il reste la situation particulière où la partie civile ne souhaite pas faire valoir de demandes indemnitaires, mais veut simplement avoir l’assurance d’une paix et sécurité durables auquel cas je préconise la pratique de l’euro symbolique car c’est un alliage lourd de sens, celui du poids de la reconnaissance du statut de victime qui en frappera la pièce.

Cet euro sera aussi l’occasion pour moi, dans un élan de satisfaction partagée, de me tourner vers vous pour vous demander :

« Alors, l’euro, vous le voulez par virement ou en espèce ? »