Récemment, dans le cadre d’une comparution immédiate, j’ai eu la très désagréable surprise de me heurter à ce phénomène d’usages judiciaires auxquels est de toute évidence injectée force de loi.
J’ai déjà surpris consoeurs et confrères faire dire aux textes ou à la jurisprudence ce qu’ils ne disent pas et je dois confesser avoir moi-même cédé à l’emploi de ce que je qualifie volontiers de tour de passe-passe dans les cas les plus défavorables que j’ai eu à défendre.
Or, j’ignorais que certaines « bouches de la loi » semblent se prêter à l’art de la prestidigitation des textes qu’elles sont pourtant censées appliquer, avec la marge d’interprétation qu’on leur connait dans le droit pénal de fond, soit, à la lettre et rien qu’à la lettre et, dans le volet processuel, en se pliant à l’interprétation de la chambre criminelle.
L’article 385 du code de procédure pénale organise la compétence des juges ayant à connaître des exceptions de nullité comme suit :
« Le tribunal correctionnel a qualité pour constater les nullités des procédures qui lui sont soumises sauf lorsqu’il est saisi par le renvoi ordonné par le juge d’instruction ou la chambre de l’instruction.
Toutefois, dans le cas où l’ordonnance ou l’arrêt qui l’a saisi n’a pas été porté à la connaissance des parties dans les conditions prévues, selon le cas, par le quatrième alinéa de l’article 183 ou par l’article 217, ou si l’ordonnance n’a pas été rendue conformément aux dispositions de l’article 184, le tribunal renvoie la procédure au ministère public pour lui permettre de saisir à nouveau la juridiction d’instruction afin que la procédure soit régularisée.
Lorsque la procédure dont il est saisi n’est pas renvoyée devant lui par la juridiction d’instruction, le tribunal statue sur les exceptions tirées de la nullité de la procédure antérieure.
La nullité de la citation ne peut être prononcée que dans les conditions prévues par l’article 565.
Dans tous les cas, les exceptions de nullité doivent être présentées avant toute défense au fond. »
Il en résulte que le tribunal correctionnel a une compétence de principe pour constater et ordonner les nullités qui lui seraient soumises, mais laquelle de compétence est dépouillée au profit de la chambre de l’instruction lorsque les faits ont été informés et derrière quoi l’ensemble des nullités qui pourraient être décelées doivent être purgées dans les six mois suivant la mise en examen à peine d’être forclos à le faire ultérieurement.
Observons qu’en cas de pluralité de personnes mises en examen, la règle de parallélisme des formes n’a pas vocation à s’appliquer dès lors qu’une requête en nullité déposée par l’un abrègera le délai de 6 mois dont dispose chacun à compter de sa mise en examen pour présenter une requête en ce sens et les y obligera prématurément, dans le sillage du premier, à défaut de quoi seront-ils forclos à le faire ultérieurement (Cour de cassation, Chambre criminelle, 4 avril 2022, 02-80.047).
En outre, l’article 459 du même code règle le sort de l’éventuel instrumentum supportant des conclusions comme suit :
« Le prévenu, les autres parties et leurs avocats peuvent déposer des conclusions.
Ces conclusions sont visées par le président et le greffier ; ce dernier mentionne ce dépôt aux notes d’audience.
Le tribunal qui est tenu de répondre aux conclusions ainsi régulièrement déposées doit joindre au fond les incidents et exceptions dont il est saisi, et y statuer par un seul et même jugement en se prononçant en premier lieu sur l’exception et ensuite sur le fond.
Il ne peut en être autrement qu’au cas d’impossibilité absolue, ou encore lorsqu’une décision immédiate sur l’incident ou sur l’exception est commandée par une disposition qui touche à l’ordre public.«
Son alinéa 1er, par l’emploi de « peuvent » laisse donc au prévenu, aux parties et à leurs avocats qu’une faculté de dépôt de conclusions écrites supplétives de conclusions débattues oralement, en ce compris lorsqu’elles tendent à la nullité.
Ces conclusions doivent en outre être soutenues in limine litis, c’est-à-dire avant toute défense au fond.
Il semble logique qu’un tribunal considère l’interrogatoire sur l’identité du prévenu comme susceptible de consommer une défense au fond dès lors que le prévenu peut contredire les éléments permettant son identification, notamment son âge qui peut emporter des conséquences procédurales.
Ainsi est-ce le cas de la minorité du prévenu dont l’audition de garde à vue doit faire l’objet d’un enregistrement audiovisuel à peine de nullité.
L’article 5.1 du règlement intérieur national de la profession d’avocat précise que :
« En ce qui concerne l’action publique devant les juridictions pénales, les avocats des parties communiquent leurs moyens de droit ou de fait et leurs éléments de preuve au ministère public et aux avocats des autres parties au plus tard à la fin de l’instruction du dossier à l’audience.
Si dans une procédure pénale, le prévenu ou l’accusé est demandeur à une exception ou fin de non-recevoir, son avocat doit communiquer ses moyens et éléments de preuve dans délai pour permettre la contradiction en temps utile par la partie défenderesse à l’exception ou à la fin de non-recevoir, sauf si cette communication compromet le moyen soulevé, auquel cas s’applique la règle générale sus-rappelée que doit respecter l’avocat du prévenu ou de l’accusé. »
Il en ressort que l’avocat est astreint à une communication des moyens soutenant une exception de nullité, mais à une communication qui peut se faire par tous moyens, y compris orale.
Au demeurant, la marge d’appréciation des nullités, qu’elles soient textuelles ou substantielles, subordonnées à la démonstration d’un grief ou non, ne nécessite pas que leur soit consacré un débat étendu.
Tout au plus, l’écrit serait-il rendu nécessaire par une communication à distance, soit dans le cadre d’une convocation par procès-verbal à comparaître à une audience ne pouvant intervenir qu’entre 10 jours et 6 mois à compter de sa remise au prévenu.
Toujours est-il qu’aucune base règlementaire ni même légale n’impose que des conclusions de nullité soient supportées par un écrit.
En ce sens, la chambre criminelle de la Cour de cassation interprète « les articles 385 et 522, alinéa 4, du code de procédure pénale [comme] n’exigeant pas que les exceptions de nullité soient soutenues par écrit« , lequel d’écrit ne vaut qu’ad probationem et comme instrumentum permettant la Cour de cassation d’exercer son contrôle dans l’application de la règle de droit (Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 avril 2017, 16-82.742).
En effet, la haute juridiction estime que le jugement déclarant des conclusions écrites de nullité irrecevables pour ne pas avoir été développées à l’oral avant les réquisitions du parquet doit encourir la censure dès lors qu’elles ont été déposées avant l’audience et visées par le greffier (Cour de cassation, Chambre criminelle, 26 mars 1997, 96.83-477).
Le tampon du greffier fait ici foi en permettant de se prémunir de la preuve d’avoir soutenu des conclusions de nullité en temps utile et de leur bienfondé, en cas d’appel, de pourvoi devant la Cour de cassation, mais encore de renvoi.
La pratique judiciaire m’a pourtant révélé que cet écrit usuel et facultatif supportant des conclusions de nullité serait devenu impératif en comparution immédiate, lorsque je communiquai au parquet, en début d’audience et outre mes pièces, des conclusions en ce sens formalisées par un corps de 3 pages.
Le procureur de la République n’avait pas souhaité me révéler, a minima, le sens de ses réquisitions en prétendant qu’il les prendrait pendant la cause débattue, mais se dérobait face à mes conclusions derrière une demande de renvoi au prétexte, plus qu’au motif, de ne pouvoir se mettre en état au milieu d’un rôle alors « encombré » de 4 affaires, dont 3 mineures.
Rappelons qu’aux termes de l’article 395 du code de procédure pénale, la procédure de comparution immédiate suppose que « les charges réunies sont suffisantes et que l’affaire est en l’état d’être jugée« .
Or, si le parquet estime l’affaire en état d’être jugée, c’est que le parquet a déjà, par hypothèse, un projet de réquisitions.
S’il est concevable que ces réquisitions puissent varier en fonction du comportement à la barre du prévenu et des réponses que ce dernier apporterait à l’interrogatoire conduit par le juge, il semble pour le moins étrange de prétendre à la vivacité de requérir au détour de débats, finalement, de pouvoir se mettre en état au fil de l’audience, mais de ne pouvoir le faire face à des conclusions communiquées in limine litis.
Pratiquement, la rançon à cette célérité procédurale s’exprime par l’urgence d’une demi-journée par laquelle l’avocat doit prendre connaissance du dossier et articuler une défense.
Or, dans le comble des plaintes du parquet, le juge m’a imposé un renvoi avec toutes les conséquences qui s’y attachent en niant la portée réelle de l’article 459 du code de procédure pénale.
Après une tentative de dialogue finalement restreinte à des monologues aux décibels montants et, dans mon chef, à l’envie de faire dépêcher un membre du conseil de l’ordre, le juge n’a souhaité ployer ni devant la lettre ni devant l’esprit des textes.
Gageons qu’ainsi détournée, la procédure que déroulent des poursuites engagées selon le mode de comparution immédiate, puisqu’elle est porteuse d’un germe disruptif d’égalité des armes, contredit les exigences de procès équitable pourtant inscrites au premier alinéa de l’article préliminaire du code de procédure pénale.
Plus encore, le fait que la tolérance à des conclusions de nullité orales puisse varier d’une chambre à une autre, d’un palais de justice à un autre, selon les usages qui y règnent, concourt à un phénomène de « judiciaire à la carte » exprimant une rupture d’égalité devant le service public de la justice et devant la loi.
L’exigence du contradictoire est donc, par essence, mise à mal au bénéfice d’un parquet souverain en pareilles modalités de poursuites, c’est un fait, mais n’est pas un droit pour le juge d’en être le régent en contraignant la défense de produire un écrit supportant des conclusions de nullité.