Les mythes sisyphéens de l’avocat « commis d’office »

Le vocable « commis d’office » a toujours été empreint d’une connotation péjorative alimentée par autant de mythes que n’en contredisent les réalités.

En effet, la commission d’office intervient généralement dans le prolongement d’un recours à l’aide juridictionnelle et prend donc la forme d’un bénévolat.

Le bastion P12 situé au 3ème étage du tribunal judiciaire de Paris

Dans une société où le mépris est réciproquement porté entre classes aisées qui ont le loisir de choisir leur avocat et les plus démunies qui ne peuvent en supporter les honoraires, l’association entre commis d’office et défense au rabais est malheureusement bien ancrée dans la conscience populaire.

Or, la commission d’office procède d’un choix de l’avocat et participe au devoir d’humanité inscrit dans son serment.

« Je jure comme Avocat d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité.« 

Ce choix peut être motivé par le souci de contribuer à l’oeuvre de défense qui investit ici votre dévoué.

Pour d’autres, il suivra leur curiosité envers la matière pénale lorsqu’elle n’est pas érigée comme activité principale.

Certains, enfin, y verront un moyen d’arrondir leurs fins de mois, pas de commentaire ni de pensée, c’est à leur discrétion.

Quoiqu’il en soit et de même qu’on ne construit pas une carrière sur des permanences pénales, j’estime qu’il serait malvenu de les réduire à des escarmouches car les enjeux qu’elles concentrent demeurent éminemment humains.

Elles représentent, en tout cas, un exercice redoutable et très formateur.

C’est dire combien s’y bousculent au barreau de Paris, mais rattrapés par la contrainte des roulements opérés par le module e)Maj rendant nos interventions ponctuelles.


En principe, n’importe quel avocat peut demander son inscription sans conditions sur les listes de permanences pénales, à la spécificité près du barreau de Paris de subordonner cette inscription à la réussite du concours annuel de la défense pénale d’urgence.

Ce concours se déroule en deux étapes :

  • Un examen théorique exprimé par un QCM de plus de 100 questions, auquel les candidats devront répondre en une heure;
  • Un examen pratique traduit par une journée de permanence effectuée sous la vigilance d’un tuteur.

Le premier examen est assorti d’un numerus clausus, si bien que lors de mon passage 150 avocats sur 1.500 y étaient reçus.

Nous pouvons voir en ces filtres une expression du devoir de compétence de l’avocat.

Le concours de la conférence du barreau de Paris donne également mandat, pour une année, à 12 candidats retenus pour leurs prestations oratoires d’assurer cette mission de défense bénévole.

En outre, le statut de « secrétaire de la conférence » emporte monopole de défense en matière d’infractions financières et d’affaires criminelles qualifiées « d’assises expresses ».

L’avocat commis d’office pourra être dépêché périodiquement, en faveur d’un mis en cause placé en garde à vue, en vue d’une CRPC, d’un interrogatoire de première comparution devant le juge d’instruction ou encore d’un débat devant le juge des libertés et de la détention ou de l’application des peines.

Il pourra également être appelé à assister prévenus ou parties civiles à une audience de comparution immédiate.


Les justiciables ignorent souvent les réelles implications d’une procédure judiciaire, qu’elle soit de coloration pénale ou civile.

Les compétences de l’avocat, sa vivacité d’esprit et son aptitude à réagir, sa capacité à anticiper les suites de la procédure, ses atouts intrinsèques et extrinsèques sont autant d’éléments qui vont contribuer à un dénouement favorable pour le justiciable.

Malheureusement et quel que serait le talent de l’avocat, celui-ci doit composer avec une donnée incompressible tenant à l’aléa judiciaire.

Aussi, seul l’imprudent se risquerait à jurer avec la foi d’un prêtre qu’une procédure donnée aboutira à telle ou telle issue.

Vous comprendrez par là, Mesdames, Messieurs, que ce n’est pas de gaité de coeur que certains d’entre-nous nuancent leur propos, y compris lorsque les pronostics viennent au soutien de la réponse attendue.

Au demeurant et quoique tout soit mit en oeuvre pour que l’avocat puisse mener à bien sa mission de défense, il arrive que la pagaille règne à P12 (course aux interprètes, greffiers vacants, dossiers en attente…) où sont centralisées les affaires qui seront débattues l’après-midi.

Avec le consentement de mes confrères et mes remerciements à eux

Les précieux référents qui nous y assistent sont également des bénévoles au bureau desquels est immédiatement connecté le greffe du parquet de permanence.

Les avocats sont installés dans une petite salle équipée d’ordinateurs sur lesquels leur sont transmis les dossiers.

Une banque de modèles de conclusions et de requêtes y est également mise à leur disposition.

C’est dans un laps de temps de moins d’une demi-journée que l’avocat doit :

  • Prendre connaissance des dossiers;
  • Cerner le profil des justiciables dont il assure la défense;
  • Partir à la chasse aux pièces soutenant un aménagement de peine ou garantissant la représentation dans l’hypothèse d’une demande de renvoi où l’enjeu portera sur la question de la détention provisoire (alors qu’elle ne doit intervenir qu’à titre exceptionnel…);
  • Préparer les justiciables à l’audience ainsi qu’à ses suites éventuelles (pratique du petit sac d’effets personnels si ça sent le mandat de dépôt);
  • Articuler une défense pour chacun d’entre eux;
  • Le cas échéant, préparer une requête de nullité écrite ou un recours contre une OQTF (NDA : obligation de quitter le territoire français)

Lorsque l’avocat aura pris connaissance du dossier, celui-ci pourra demander à l’escorte de faire monter la personne poursuivie dans le box pour s’entretenir avec elle.

Se révèle alors une autre réalité à la source du doute porté à l’avocat frappé du label « commis d’office ».


Une geôle du dépôt du tribunal judiciaire de Paris

Le tandem amené à composer le temps d’un segment procédural ou de l’entière procédure ne se connait pas.

Le premier – et c’est légitime – va craindre que celui entre les mains duquel son sort a été confié ne soit pas qualifié, le second devra saisir l’aiguille pour tisser les premières mailles d’un lien de confiance.

Pour ma part et comme en garde à vue, la première chose qu’il m’importe de faire face à un justiciable dont la défense m’a été attribuée est de me présenter, d’exposer brièvement mon parcours et mes motivations à concourir à l’aide juridique.

Beaucoup ignorent tout du processus qui les conduira devant la juridiction compétente.

Généralement primo-délinquants, ils apparaissent très sensibles aux caractères extraordinaire d’une procédure judiciaire et infamant des poursuites diligentées contre eux.

D’autres, pour qui l’enceinte judiciaire semblerait avoir livrée tout ses secrets, auront sollicité un avocat commis d’office, mais comme une provocation destinée à mettre patience et tolérance au banc de test, s’enorgueilliront d’avoir besoin de nous.

À autant de franchise que le profil implique, je réponds généralement « si vous étiez aussi malin que vous ne l’avancez, vous ne vous trouveriez pas face à moi en ce moment. »

Les quelques fois où j’ai été contraint de durcir le ton, mon interlocuteur a aussitôt changé le sien et nous avons pu commencer à travailler, parfois même de trouver le temps d’échanger au-delà du seul dossier.

Face à ce genre de profils récalcitrants, il va sans dire que le mépris ne servira aucunement à assoir une quelconque autorité, mais ne fera que le braquer davantage.

Plus encore, je considère qu’un tel comportement est inadmissible à l’égard d’un justiciable qui se sera déjà fait traiter comme on le sait lors des 24 voire 48 dernières heures.

Les boxes d’entretien avec les prévenus remontés des geôles

Lorsque l’avocat est mobilisé pour une permanence partie civile, sa capacité d’organisation est d’autant plus mise à rude épreuve.

Sur la voire les dizaines de dossiers, il s’assurera d’opérer un premier filtre en déterminant quels sont ceux comportant une donnée victimaire.

Par exemple, les affaires de trafic de stupéfiants ne portent généralement atteinte qu’à l’intérêt général et seront exclues ipso facto dans la grande majorité des cas.

Exemple d’une fiche victime

L’avocat veillera alors à dégrossir une seconde fois la pile de dossiers à traiter en contactant chaque présumée victime pour recueillir son assentiment à se constituer partie civile.

La tâche est fastidieuse, mais nécessaire pour déterminer les dossiers à traiter en priorité.

À cet effet, des fiches victimes « atteintes aux personnes » nous sont communiquées par le parquet P12.

Elles consignent les suites que les personnes se prétendant victime d’une infraction entendent donner à leur affaire et offrent donc une économie de temps remarquable à l’avocat.

Il n’est pas rare qu’en raison du retentissement psychologique ou de la crainte de représailles (rixes entre bandes, violences conjugales…), une victime soit hésitante à se constituer partie civile.

L’article 419 du code de procédure pénale en tire la conséquence d’autoriser les constitutions de partie civile de dernière minute, en permettant aux intéressés de se constituer « à l’audience même« .

Une fois prêt, si tant qu’il ait déjà pu réellement l’être en ces circonstances exposés, l’avocat pourra gagner la salle d’audience et se présenter à l’huissier.

Je me suis déjà retrouvé avec trois gros dossiers à préparer en un temps consommé par des dysfonctionnements à P12.

Dans ces cas là, soyez présent à la salle d’audience, à 13h25 au plus tard, pour demander à l’huissier d’organiser le rôle de sorte à vous permettre de finir ce qui doit l’être (Arnaud, t’es le meilleur !).

Une nuit au tribunal : Dernier délibéré à la 23-1

La sonnette retentit, les personnes dans la salle se lèvent, l’audience est ouverte.

Les affaires défilent au milieu des bancs réservés aux avocats de la défense d’une part et de ceux attribués aux consoeurs et confrères assistant les parties civiles d’autre part, mais tous unifiés par un beau ciment confraternel.

L’audience de comparution immédiate est la terre d’élection de profils tout aussi surprenants qu’imprévisibles, devant les interventions desquels le respect de leur dignité commande, parfois difficilement, de ne pas rire, mais encore d’agir.

À titre d’exemple, mon baptême de feu s’y est exprimé par la défense d’une frêle personne poursuivie pour avoir asséné un coup de sabre en réponse aux assauts d’une personne se présentant comme victime.

Dès son entrée en salle d’audience, j’ai remarqué que la partie civile considérée, une masse haute de 2 m, boucher de surcroit (si si !), s’agitait particulièrement et derrière quoi se mit elle à invectiver le prévenu toutes les fois où elle échappait à la vigilance des juges, y compris à la barre.

J’espérais qu’on la surprenne se tirer de la chevrotine dans les deux pieds et mettre autant d’eau qu’elle n’en transpirait de nervosité à mon moulin, mais j’ai finalement été contraint de me lever pour demander à ce que son comportement soit acté par le greffier et qu’elle soit évacuée de la salle par les escortes.

C’est tout juste si elle n’allait pas aussitôt me sauter à la gorge avant celle du prévenu dans le box.

La semaine dernière encore, je soutenais une victime d’extorsion à la barre afin qu’elle puisse déposer sereinement.

Le rire immaculé que je constatais sur le visage de son agresseur assis dans le box disparut aussitôt que je ne le faisais observer.

Il faut garder à l’esprit que malgré ce que certains médias préconisent, on ne peut affirmer avec cohérence qu’une justice célère puisse être qualitative, du moins, dans ce contexte d’aridité de moyens humains et matériels.

Ça semble surprendre, mais les magistrats et auxiliaires de justices que les avocats intègrent sont en effet des humains et il n’est pas rare d’observer perte d’attention et de sang-froid au fil des heures et à mesure que la fatigue investit la salle.

C’est encore plus vrai lorsque l’audience se prolonge jusqu’à tard dans la nuit, conséquence du terreau fertile de la comparution immédiate.

N’est-ce pas chose ironique lorsque l’ont sait que ce mode de poursuites est conçue pour favoriser une justice expéditive au nom de son désengorgement ? À vous d’en juger.

Départ du tribunal à 4h30 tandis que mes confrères à la 23-2 verront l’aube se lever

J’ose en tout cas espérer que cette publication aura éclairé qui s’y hasardera et contribué à rétablir les lettres de noblesse de l’Avocat car c’est fondamentalement toute la profession, autant d’avocats que le Bâtonnier n’est susceptible d’en commettre d’office, qui est discréditée par ces mythes sisyphéens.